Edwin avançait à travers le couloir de pierre sombre. Il ne pressait guère l'allure ; Il attendrait. Le messager n'avait osé spécifier qu'il fallait faire vite, mais le ton pressant de sa voix l'avait trahi. Peu importait ; Il attendrait. Le son des pas du garçon se répercutait autour de lui et donnait à cette marche nocturne une allure solennelle. Il prit le couloir de gauche sans la moindre hésitation. Un courant d'air de par une fenêtre demeurée ouverte fit claquer sa cape noire et or, dévoilant alors de riches atours de même couleur. Sans plus prêter attention à ce dérangement que s'il s'était agi d'une attaque ennemie particulièrement erronée, Edwin tendit le bras droit. Aussitôt, comme jaillit de nulle part, un splendide phoenix répondit à l'appel. Il referma doucement ces serres autour du bras de son maître qui continuait de marcher.
La salle du trône approchait, et avec elle, les éclats de voix. De plus en plus intenses et fréquents, ils laissaient présager quelque missionnaire maladroit ou quelque requête inopinée... Rien qui plût au Maître, de toute évidence. Une telle agitation fatiguait d'avance le garçon ; il hésita un instant à faire demi-tour en direction de sa chambre puis se ravisa. Des nouvelles d'Alénor étaient à attendre... et il n'en voulait manquer aucune, pour rien au monde. Cette fille s'était fichue de lui jusqu'au bout. Et elle avait eu raison... il était alors si faible et naïf ! Leur prochaine rencontre expédierait sa chère "fiancée" loin du monde de mensonges qu'elle se complaisait à dominer. Avec elle, s'il devait emporter Séphadora pour Son bon plaisir, ce n'était qu'une maigre tâche de plus.
La porte de la salle était maintenant clairement visible, à quelques mètres d'Edwin. D'un coup de magie, elle vola en éclats, faisant taire instantanément tous cris. Sans rien modifier dans l'allure qu'il avait adoptée depuis plusieurs minutes, le garçon entra dans la salle et s'immobilisa en son centre. Le "Maître" était debout devant une silhouette recroquevillée sur le sol... L'enchevêtrement de vieux habits rapiécés émettait de temps à autres un gémissement incontrôlable. Edwin ne fit pas un geste quand Il tourna son regard vers lui. Plongeant ses yeux dans les siens, il soutint fermement son regard. Pas une seule fois depuis leur rencontre, depuis le jour où il lui avait offert ces pouvoirs, le "Maître" ne s'était attendu à ce qu'Edwin s'incline devant lui. Le garçon savait parfaitement que, bien qu'étant la nouvelle arme du Tout-Puissant, il terrorisait ce cher Maître. Ironie du sort... ou bien non. Tout celà n'importait que trop peu ; d'autant plus que le maître des lieux pouvait encore lui en apprendre. Tout en dressant son jeune fauve contre la puissance de Séphadora, la haine qu'il entretenait lui-même pour Alénor était d'une utilité conséquente dans l'exécution du plan final.
" Vous m'avez fait réveiller. Pourquoi ? "
Edwin fixait le Seigneur de ses yeux rouges et noirs barrés de mèches de cheveux ébène ; il se tenait impeccablement droit, sa cape rejetée en arrières de ses épaules par la position de son bras droit sur lequel reposait encore le phoenix.
" Une mission doit être accomplie, ce soir... une mission que seul toi est en mesure de remplir. "
La voix de l'Homme était semblable à un râle de ténèbres. La chaleur de la pièce n'en était pas augmentée ! A ce moment, le tas de chiffons sur le sol esquissa un mouvement vers la porte. Edwin eut un léger mouvement de surprise. Il s'était attendu à découvrir un vieillard décharné, couvert de pustules et autres artefacts de son imaginations associés à ces mendiants... pour une fois, il avait eu tout faux. Une infime concentration de son esprit sur la victime lui aurait permis au premier abord de l'identifier telle qu'elle était. Il fallait l'avouer, il n'en avait rien à faire. La vision qu'il découvrit éveilla tout de même en lui une certaine curiosité. Sous une robe en haillons qui ne pouvait plus même avoir la prétention de dissimuler un centimètre carré de son corps, une jeune fille tremblait de tous ses membres. Une jeune fille... ou une enfant. Elle n'avait certainement pas plus de dix ans. Son corps entier était couvert de contusions et de coupures ; les courbures anormales de ses membres laissaient deviner les endroits exacts des fractures... trop nombreuses. L'enfant regarda Edwin et pleura.
Le Seigneur eut un mouvement de recul et fit un signe en direction d'un homme, demeuré dans l'ombre. Alors qu'il avançait, Edwin reconnut Kyo. Il avait toujours été étonné qu'un tel imbécile ait pu devenir général... mais qu'avait-il en tête, cette fois ? Bon sang, si une seule fois un éclair d'intelligence pouvait frapper cette Terre, que les crétins congénitaux ne soient pas épargnés ! La petite s'agitait de plus en plus à mesure que le général approchait. Aucun doute, il était l'auteur de la majeure partie de ses blessures. Kyo s'arrêta, sa grosse botte recouverte de métal frottant contre la joue de la fille qu'il dominait ironiquement de toute sa hauteur. Lentement, il dégaina son épée et la plaça sur la gorge frêle en ricanant. Là dessus, Edwin soupira.
" Fous lui la paix, mon vieux. Vas te recoucher, peut-être demain apportera-t-il un nouvel augure pour les balourds dans ton genre... Il ne te reste plus que l'espoir. "
Kyo se retourna, une fureur sans borne brillait dans ses yeux noirs. Enfin une expression digne d'un homme... Peut-être n'était-il pas définitivement perdu.
" Qu'est ce que tu me veux, gamin ? Viens te battre si t'es jaloux ! "
Edwin eut un rire désolé.
" Par bonheur je ne suis pas comme toi. Je ne m'attaque pas aux plus faibles que moi. "
Sous l'insinuation -qu'il avait curieusement comprise- Kyo hurla et fonça sur Edwin, son épée levée au dessus de sa tête. La position du faucon... particulièrement mal maîtrisée. Une technique de guerre ancestrale. Le général vint se briser sur le bouclier d'Edwin sans que le garçon n'esquissa un mouvement, de défense ou de recul. Renvoyé près du mur opposé, il semblait inconscient.
" Occupez-vous d'elle "
Fit Edwin en se retournant vers les gardes, en poste de chaque côté de la porte. Après la démonstration à laquelle ils venaient d'assister, aucun n'émit de commentaire. Ils approchèrent de l'enfant et la soulevèrent avec toute la douceur dont ils semblaient capables -c'est à dire celle que montre une femme au lavoir en tentant de débarrasser une vieille chemise d'une tache extrêmement tenace. Il n'avait aucun doute ; elle mourrait. Personne ne pouvait intervenir, le sang se répandait en elle depuis ses organes déchirés... Même un puissant magicien n'avait le pouvoir de réparer ainsi un point vital. Au moins ne succomberait-elle pas entre les mains du vil général. Une bien triste consolation bien que ce fut le seul cadeau qu'il fût en mesure d'offrir. La tristesse ne le touchait que très peu... voilà donc de quoi la magie noire était capable. La vengeance et la haine préparaient un terrain propice à l'accomplissement des volontés du "Maître" en son Arme.
Les gardes quittèrent la pièce. Edwin porta à nouveau son attention sur le Seigneur qui n'avait en aucun instant objecté les propos de ses hommes.
" Des nouvelles d'Alénor ? "
" Tu t'inquiètes pour ta belle fiancée ? N'aie crainte... ses souffrances arriveront bientôt à leur terme ; sa fin est proche. "
Edwin resta silencieux, ses yeux perçants pouvaient pratiquement voir à travers le corps du Maître, tant il restait concentré. Son esprit tremblait de colère tandis qu'il continuait.
" Oui, ma merveilleuse épouse trépassera dans les ruines de sa cité. Elle mourra en ayant perdu tout espoir, en ayant vu ses amis la supplier d'abréger leurs souffrances... Très bientôt l'île remettra son avenir entre les mains de celui qu'elle attend depuis l'avènement des aubes. "
Le Seigneur eut un grognement satisfait. Un mouvement de tête pour chasser une mèche de cheveux dévoila son magnifique visage. A sa voix, Edwin l'avait toujours cru plus âgé qu'il ne semblait l'être. De plus en plus exaspéré, il se doutait que le discours pouvait ainsi durer sur la manière de tuer Alénor. Ce dont le Seigneur était tout bonnement incapable. Edwin retrouva l'usage de la parole, force de nécessité.
" M'avez-vous réveillé pour que j'assiste à l'une de vos crises de monsieur-le-tout-puissant-maître-de-l-univers ? "
Le ton cassant du garçon ramena Nathaniel à la réalité. Il recentra son attention sur la mission actuelle de son Arme Secrète et reprit, d'un ton plus serein que celui auquel Edwin s'attendait.
" Séphiro a commis une grossière erreur, ce soir... Je tiens à ce qu'il se souvienne de ne plus commettre pareille faute à l'avenir. Tu as carte blanche, fais le nécessaire. "
Edwin soupira intérieurement. Une nouvelle nuit blanche l'attendait. Il était épuisé... Certainement pas assez pour qu'il ait à craindre la moindre coupure en retour de la part de Séphiro, mais tout bonnement exténué. Une nouvelle lassitude prenant possession de lui, il laissa retomber son bras droit le long de son corps. Comprenant le message, le phoenix s'envola souplement et se posa sur l'épaule d'Edwin.
" Quel est ce nouveau compagnon ? "
" Il se nomme Erzengel, en hommage à la puissance des Dieux Eternels. Il sera mon emblème. Mes ennemis craindront son cri autant que le glas funèbre qu'il annoncera. Ils sauront alors que tout espoir est perdu. "
Après avoir marqué une seconde de silence durant lequel il sonda les yeux de Nathaniel; Edwin se retourna et marcha en direction de la porte.
" Tout est vain et futile en ces mondes... "
Après ce simple arrêt, il quitta la salle et se rendit vers la chambre de Séphiro... Il en ressortit indemne quelques heures plus tard, laissant la porte entrouverte.
Sun 8 Jun à 16:15
